Chaque semaine, je mène une bataille implacable et sans pitié contre mon chariot de supermarché.
Ce dernier,vil et fourbe, s'acharne à vouloir me ridiculiser en n'en faisant qu'à sa tête. Toutes mes tentatives pour l'apprivoiser demeurent vaines. Je lui intime l'ordre d'aller à droite,il va à gauche,lui propose de s'arrêter , et il continue sa course à perdre haleine. La douceur ne vient pas à bout de ce féroce adversaire qui prend plaisir à me causer des désagréments, escaladant les escarpins de ces dames,réduisant la bedaine de ces messiers.
De fait,je passe mon temps à m'excuser platement,souriant niaisement emportée par ce terroriste de ferraille.
Cet impitoyable monstre a fait un pacte avec les éléments pour me rendre dingue.
La pluie s'est déchainée alors que je luttais dans les rayons. L'orage bat son comble et mon parapluie est confortablement installé sur la plage arrière de mon automobile qui ne fait pas un geste pour se rendre utile et m'attend à l'opposé de la sortie de la grande surface.
Inexorablement,lorsque j'essaie laborieusement d'atteindre cette dernière, il semble que le bitume du parking monte,se gonfle, s'arque boute pour concurrencer les grands sommets de notre globe et je dois souffler et suer pour arriver enfin à rejoindre l'humble Picasso familial; Il me semble avoir gravi l'Everest.
Altière,je dépose mes courses dans le coffre.Mon mascara dégouline sur mon piteux visage, mais mon sourire est bien installé sur mes lèvres,et je ne suis pas peu-fière d'avoir enfin vaincu ces ennemis sans visage;
Mais c'est là que les deux démons jettent leur dernier assaut. Il me faut regagner la portière conducteur de mon véhicule; et là, le niveau du parking semble s'être soudainement creusé et être descendu bien en dessous de celui de la mer puisqu'un océan s'étend,immense et boueux,prêt à ensevelir mes ballerines et attaquer ma jupe qui descend juste au dessous de mes genoux. Je dois alors mobiliser mes souvenirs les plus lointains et me remémorer les conseils d'un professeur d'athlétisme pour le saut en longueur. Dignement et élégamment,avec toute la classe qui me caractérise et qui fait de moi ce que je suis,je remonte ma jupe trop étroite pour l'exercice, et vole par dessus cet abîme déchaîné.
Croyez le si vous le voulez,mais je rentre fatiguée des courses.